Le consommateur passif, conséquence de la massification de l’informatique personnelle ?

Dans son excellent billet – traduit sur le framablog – Carl Chenet taille les oreilles en pointe des personnes qui se résument à consommer de manière passive du logiciel.

Même s’il y a quelques caricatures dans l’article, il faut dire que ça tape juste et franchement sur les personnes que l’on pourrait comparer à des orifices excréteurs solides mal torchés.

Mais pour moi, Carl n’a pas pris un facteur un compte : la massification de l’utilisation de l’informatique depuis le début des années 2000.

Jusqu’en 2003-2004, les prix de l’informatique et de la connexion internet étaient une barrière d’entrée qui permettait de conserver un minimum de réflexe de recherche personnelles et une volonté de se sortir les mains des poches en cas d’ennuis.

Cependant, cette massification a mal été prise en compte par le milieu du logiciel libre. Jusqu’à l’arrivée des premières distributions GNU/Linux gentilles envers l’utilisateur basique et vraiment fonctionnelles – en gros le début de l’aventure Ubuntu – le monde du libre est resté un milieu de passionné(e)s, où la démerde et la volonté de lire de la documentation était présente.

Jusqu’en 2003-2004, le RTFM était une réponse acceptable et acceptée par tout le monde. Il n’y avait pas de honte à faire soi-même quelques recherches et publier des documents synthétisants les solutions trouvées.

Mais ce qui était vrai en 2003-2004 ne l’est plus de nos jours. Bien ou mal, à vous de voir. Un nombre croissant de libristes sont des personnes qui veulent juste avoir des OS fonctionnels, ce qui est déjà un bon point de départ.

Mais ce sont des personnes qui se contrefoutent – à tort ou à raison ? – des subtilités techniques, du fait que nombres de projets sont sous-dimensionnés en terme de ressources humaines – une conséquence de la sacralisation du fork et de son utilisation abusive ? – et qu’une personne qui se casse le cul à stabiliser son logiciel n’a pas envie de répondre pour la 150ième fois à une question dont la réponse se trouve dans le fichier README du projet.

J’ai appris récemment que l’enrobeur pour Pacman, Aurman, mettait la clé sous la porte. Il suffit de lire le commentaire du développeur du logiciel pour comprendre qu’il en a eu sa claque.

Je cite le morceau de choix :

[…]
Without exaggeration, about 80% of the GitHub issues have been complete nonsense. About 90% of the comments on the aur.archlinux.org aurman page have been complete nonsense. Do not bother looking for them, the GitHub issues are closed and the comments on the aur.archlinux.org page have been deleted. People who followed my work will know what I am talking about.

There have been so few people, who actually requested features with sensible argumentations behind it, so few people who actually reported bugs and not only showed their incompetence…

I honestly do not want to waste my time for unpaid work, and get nothing besides insults. I need an AUR helper, and I wrote it. I thought it would be nice to let other people use my software, because that does not hurt me, and that is true. But I also thought it would be nice to let other people give feedback, because that does not hurt me, and that is not true.
[…]

Une traduction ?

[…]
Sans exagération, environ 80% des problèmes de GitHub ont été complètement absurdes. Environ 90% des commentaires sur la page aurman de aurlinux.archlinux.org ont été complètement absurdes. Ne vous donnez pas la peine de les chercher, les bugs de GitHub sont fermés et les commentaires sur la page aur.archlinux.org ont été supprimés. Les gens qui ont suivi mon travail sauront de quoi je parle.

Il y a eu si peu de personnes qui ont demandé des fonctionnalités avec des arguments raisonnables, si peu de personnes qui ont rapporté des bogues et qui n’ont pas seulement montré leur incompétence…..

Honnêtement, je ne veux pas perdre mon temps pour du travail non rémunéré, et je ne reçois rien d’autre que des insultes. J’ai besoin d’un assistant AUR, et je l’ai écrit. J’ai pensé que ce serait bien de laisser d’autres personnes utiliser mon logiciel, parce que cela ne me fait pas mal, et c’est vrai. Mais j’ai aussi pensé qu’il serait bien de laisser d’autres personnes donner leur avis, parce que cela ne me fait pas mal, et ce n’est pas vrai.
[…]

C’est suffisamment clair pour éviter de broder des heures dessus. Archlinux avait été critiqué quand, courant 2012, il avait décidé de virer son installateur et de le remplacer par des scripts dédiés. Avec le recul du temps, c’est compréhensible. Nombre de personnes arrivaient sur Archlinux sans avoir le niveau minimum nécessaire.

Était-ce de l’élitisme ? Était-ce une volonté de se préserver de personnes plus toxiques que des amanites phalloïdes ? Je pense que les mésaventures qui ont mené à l’abandon de Pacaur et maintenant d’Aurman laisse peu de doutes quant aux motivations profondes.

La massification de l’informatique a amené un public dont la toxicité n’est plus à prouver et colle avec la toxicité d’une partie des développeurs que l’on peut croiser parfois.

Il est illusoire de croire que l’on pourra éduquer toute personne qui arrivent dans le monde du libre et qui sont restés dans une optique consumériste entretenue par le monde non-libre.

Au fil des années, j’ai reçu des courriers avec des questions tellement basiques que je me suis aperçu que le niveau moyen baissait. Mais je réponds à chaque fois, en me disant que j’apporte ma pierre, même si parfois j’ai envie de balancer un RTFM dans les dents. Mais ce serait aussi stupide que le comportement des personnes toxiques dénoncées par l’article de Carl Chenet.

Les logiciels libres meurent par manque de contributions ? Sûrement. Mais aussi de la non-prise en compte – ou la prise en compte partielle – du phénomène de massification de l’informatique personnelle.

16 réflexions sur « Le consommateur passif, conséquence de la massification de l’informatique personnelle ? »

  1. Tout ceci est très vrai malheureusement. Le nivellement par le bas n’a rien de bon. L’éducation en règle générale a perdu son sens et sa vocation première. Les masses ont trop pris l’habitude que tout soit fait à leur place : Facebook fait ta propre « story » avec tes photos de vacances, les smatphones et autres iMachins font tout tout seul, la domotique, etc.

    On explique pas au gens comment comprendre, on leur fait un « BlaBlaBla pour les nuls ».
    Plutôt que d’apprendre à faire, il faut apprendre à comprendre ce qu’il faut faire pour faire. C’est plus de pérennité sur le long terme et d’autonomie

    1. > « Le nivellement par le bas », « Les masses ont trop pris l’habitude que tout soit fait à leur place »…

      Je n’y connais rien en mécanique auto et je ne veux rien y connaître car j’ai un temps limité et d’autres centres d’intérêt (et peu m’importe qu’ils paraissent futiles ou pas aux yeux d’autres personnes). En quoi suis-je « nivelé » vers le bas ? En quoi fais-je partie d’une « masse » ?

      Ce n’est pas parce qu’une (petite) minorité a des attitudes déplorables qu’il faut commencer à balancer de grandes phrases moralistes sur les fameuses masses. Tu es probablement dans la « masse » pour quelqu’un d’autre qui se croit au dessus pour des raisons qui t’échappent.

      1. Bien dit : on est toujours le con de quelqu’un d’autre 😉

        La massification de l’informatique est une très bonne chose, sinon on appelle ça la fracture numérique…

  2. Je ne suis pas tellement d’accord avec cette analyse. Il y a certes une « massification » de l’usage des outils informatiques (sous toutes ses formes) mais on est encore très loin d’une massification des usages « grand public » basés sur les logiciels libres : quelques % tout au plus.

    La grande masse ne sait même pas que github existe et je ne parle même pas de AUR.

    1. @mahikeulbody
      C’est exactement ce que je dis. Si ca ne t’intéresse pas, que tu n’as pas envie de connaitre et que tu as d’autres centres d’intérêt, très bien. Donc prend d’autres outils. Je dis juste que ce n’est pas systématiquement aux outils de s’adapter au niveau des utilisateurs.
      Et même si je ne doute pas de l’importance de ton ego, quand je parle de nivèlement pas le bas, je ne parle pas de toi, mais des outils. Et oui, tu fais parti de la masse, tout comme moi.
      Par exemple, je fais un peu de photo, je me vois pas dire que à Nikon ou à Canon, que leur boitier c’est de la merde parce que j’ai autre chose à faire que de lire le bouquin et que ca m’intéresse pas. Je penses qu’il faut garder un peu de passion, sans tomber dans l’extrême, dans ce qu’on fait. Il y a mon avis assez d’outils, d’OS, de tablettes, de plats préparés, de télé-réalité pour les gens qui ne s’intéresse pas et qui n’ont pas le temps.

  3. C’est à Linux de montrer qu’il a des avantages concrets sur Mac et Windows.

    Aujourdui quels sont les éléments percutants de Linux ?

    – temps de démarrage plus rapide que Windows

    – pas de mises à jour qui bloquent un ordi

    – permet de faire tourner des vieux ordis

    -gratuit

    Je ne trouve pas ces avantages suffisant pour faire basculer la masser des gens sur Linux comparé. Il faudrait des killer features 😀

     

    Peut être que vous en connaissez !

    1. Ce qui me vient, dans le désordre : léger, certaines distrib sont plus faciles d’accès que Windows 10, gratuit, ouvert et illimité, pas de services en arrière plan qu’on ne contrôle pas, pas de backdoor, paramétrable a souhait, meilleur documentation (wiki, debug), nombre de DE et WM important

       

      1. Faut relire : « masse des gens ». La « masse des gens » s’en fiche de ces « avantages ».

        La masse des gens veut du gratuit. Et du Windows parce que c’est connu et donc avec une renommée positive.

        1. C’est archi faux malheureusement, les gens veulent du Acrobat et du pack office. Comme dit plus haut ils se contrefiche de l’OS. Le truc c’est que pour l’instant, sous Linux tu ne peux pas totalement te foutre de comment fonctionne l’OS si tu veux utiliser les outils, d’où le débat sur Linux en tant que Desktop. Enfin si j’ai bien tout suivi

          1. Quand je parlais de « Windows », je sous-entendais « et des softs sous Windows ».

            Perso, sur des Windows j’installe Sumatra au lieu de Adaube Acrobat et quand je parle de LibreOffice au lieu de MSO ça passe, sauf en cas de demande « spécifique ».

            Pour le reste c’est au cas par cas.
            J’évite d’aider des windowsiens 🙂

    2. > C’est à Linux de montrer qu’il a des avantages concrets sur Mac et Windows.

      Le problème évoqué par ce billet n’est pas spécifique à Linux mais aux logiciels libres (il y en a aussi sous Windows : Gimp, LibreOffice, etc…) et traite de l’attitude de certains qui s’adressent aux développeurs en pensant que tout leur est dû alors que ces derniers sont presque toujours des bénévoles (hormis autour du noyau lui-même mais je doute qu’il y ait beaucoup de fâcheux sur ce sujet très pointu).

      Cette discussion n’a donc rien à voir avec Linux et ses éventuels avantages sur Mac et Windows. De toutes façons, l’écosystème « linux » n’a pas besoin de se vendre, tout au plus faire un peu d’information pour que les gens découvrent qu’il existe afin qu’ils puissent avoir un choix.

      NB. Là je parle de desktop parce que coté serveur ou embarqué l’affaire est pliée depuis longtemps : Linux, Linux, Linux…

       

    3. De mon expérience perso, je ne trouve pas autant d’avantages techniques pour Linux malheureusement :

      -> temps de démarrage plus rapide -> avec un SSD ( on est en 2018 ) cet avantage disparait, et même avec un HDD classique le démarrage rapide de W10 sauve la baraque ( bon ok il triche puisque c’est une sorte de mise en veille prolongée mais faut reconnaitre que c’est efficace )

      -> pas de mises à jour qui bloquent un ordi -> j’en ai pourtant connu pas mal sous Linux, même plus souvent que sous Windows dans mon cas personnel. Concrètement : des migrations d’Ubuntu qui parfois partent en carafe et que je dois rattraper en ligne de commande.

      – > permet de faire tourner des vieux ordi -> oh que oui ! j’ai un vieux PC de 2004 sous Xubuntu qui fonctionne encore très bien, avec son Pentium 4 et ses 1 Go de Ram. Linux l’a sauvé de la poubelle.

      -> gratuit effectivement. Mais avec les économies d’échelle, les accords commerciaux entre Microsoft et les constructeurs de PC, les financements via les crapwares pré-installés, etc… finalement le PC sous Windows revient au même prix que le PC sans OS. Bonjour la gueule de la gratuité. Sans oublier qu’un PC sous W7 ou W8.1 peut toujours migrer vers W10 gratuitement, en 2018 ça fonctionne encore.

      Bref, pour moi l’avantage de Linux n’est pas à chercher sur un plan technique, mais sur un plan éthique.

       

      1. Tu n’as pas tord dans le détail, même si tu n’as pris que ceux qui étaient les plus tangents 😉

        concernant la gratuité, mon argument exact est : gratuit, ouvert et illimité. Tu n’as, la aussi, que pris le terme qui par un moyen détourné permet de mettre windows dans une pseudo égalité

        Concernant l’éthique, elle n’est pas abordé à mon sens parce qu’il n’y a même pas débat …

  4. Une technique pour éviter d’avoir à répéter 150x la même chose est de créer une FAQ ou un guide simple qui aborde les « problèmes » les plus fréquents et de balancer le lien qui contient les éléments de réponse à la question posée.

    C’est ce qu’on fait sur Solus, on a un « help center » qui aborde les thème basiques de façon assez succincte, peu de blabla, on va directement à l’essentiel. C’est très pratique pour trouver ses marques quand on débute et c’est une aide précieuse pour les « comminuty managers » qui peuvent balancer un lien au lieu de réexpliquer une nième fois la même chose, bref, une version un peu plus diplomatique du RTFM. 🙂

    Évidemment ce site simpliste couvre avant tout les trucs de base (qui sont l’immense majorité des questions/problèmes qui reviennent souvent). Rien de comparable par exemple à la bible qu’est le wiki de ArchLinux qui couvre toute sortes de domaines, aussi bien pour des choses simple que des sujets qui requièrent un bon niveau de connaissance.

    En tout cas, les utilisateurs qui s’imaginent que tout leur est dû, qui râlent à la moindre occasion sans même prendre 2 minutes pour chercher une réponse/solution à leur question/problème, c’est ce qu’il y a de pire car ca peut pousser des personnes pourtant motivées et pleines de bonnes intentions à abandonner leurs projets et parfois il faut vraiment s’accrocher pour ne pas envoyer tout balader.
    Je connais des développeurs qui se sont éloignés de réseaux sociaux pour éviter ces personnes toxiques et c’est très regrettable car cela contribue a créer un fossé entre les devs et les utilisateurs.
    Finalement les forks compulsifs c’est un moindre mal à côté de ce phénomène. Certes ils génèrent une certaine pollution/confusion, mais ils sombrent assez rapidement dans l’indifférence.

  5. Je viens d’installer Antix 17 sur mon portable de 2007. J’ai pris du plaisir à le faire. Je prends du plaisir à faire fonctionner cette distribution, à tester, à chercher, en bref à découvrir. Pour moi linux est devenu un loisir non-sacerdotal, sans engagement libertaire, sans parti-pris, mais simplement quelque chose, comment dire.., quelque chose de chaud, de joyeux ! Avec Windows je n’ai jamais ressenti cela.

    Et comme dit mon épouse : « pendant qu’il fait çà, y fait pas de bêtise ! »

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