L’industrie de l'(in)culture cinématographique, musicale et écrite est-elle « mentalement » bloquée en 1993 ?

Dans un article du webzine NextInpact, on peut lire les pleurnicheries des « ayant tous les droits », voulant la mise en place d’un système de radars automatiques contre les méchants internautes qui ne passe pas par la tristement comique offre légale.

Le morceau de choix est la phrase suivante sur la soi-disant offre légale (qui est risible au mieux) :

Conclusion : « l’argument de l’absence d’œuvre, leur diffusion à un rythme qui ne convient pas, c’est faux ! C’est de la démagogie. Il faut arriver à sanctionner le piratage qui est du vol ! (…) On n’arrivera pas à vendre des séries si on ne le combat pas. »

Outre le fait qu’une copie illicite n’est pas du vol, du moins au sens entendu par le Code Pénal – à moins que la copie d’un fichier qui le multiplie soit la même chose qu’une soustraction (faut-il redéfinir les mathématiques ?) – que dire de l’offre légale actuelle pour les oeuvres cinématographiques ?

Elle souffre d’une incongruité, la chronologie des médias, héritage des années avant l’arrivée du réseau des réseaux. Pour mémoire, la chronologie des médias, définie légalement depuis 1982 et adaptée pour les nouveaux moyens de diffusion en France, est la suivante pour un film.

  • Jour J + 4 mois : uniquement en salle, vous savez l’endroit qui empeste le beurre chaud et où le soda est roté bouche ouverte
  • Jour J + 4 mois et 1 jour : location et achat de DVD, Bluray et VOD sans abonnement
  • Jour J + 10 mois : passage sur les chaines cryptées partenaires du cinéma
  • Jour J + 1 an : passage sur les chaines payantes
  • Jour J + 22 mois : passage sur les chaines payantes ayant aidé à la coproduction du film
  • Jour J + 2 ans et demi : passage sur les chaines payantes
  • Jour J + 3 ans : passage sur les plateformes de VOD avec abonnements (Netflix et compagnie)
  • Jour J + 4 ans : passage sur les chaines non cryptées

Donc pour un film comme le reboot de Superman, à savoir Man Of Steel, sorti le 19 juin 2013, cela donne :

  • Passage en location et achat de DVD, Bluray sans abonnement : 20 octobre 2013
  • Passage sur les chaines cryptés : 19 avril 2014
  • Passage sur les chaines payantes : 19 juin 2014
  • Passage sur les chaines ayant été à la coproduction : 19 avril 2015
  • Passage sur les chaines payantes : 19 décembre 2015
  • Passage sur les plateformes de VOD avec abonnements (Netflix et compagnie) : 19 juin 2016
  • Passage sur les chaines non cryptées : 19 juin 2017

A notre époque d’instantanéité, c’est pas limite caricatural ? Autant dire que dès octobre 2013, nombre de personnes qui considère que payer 20 à 25 € un support physique n’est pas primordial et que cet argent est plus utile dans le financement des besoins primaires (manger, boire, se vêtir, se loger) seront passées par des filières parallèles pour un résultat plus facile d’utilisation que l’offre légale qui est handicapée par les DRMs (qui ont fait preuve de leur nocivité et de leur inutilité au fil des années).

D’accord, il reste une minorité d’utilisateurs qui passeront coûte que coûte sur les modèles illicites, mais ce n’est que le retour du bâton face à une industrie qui a refusé de se remettre en cause et ainsi que son modèle économique avec l’arrivée du réseau des réseaux.

Des dinosaures qui voyant arriver l’astéroïde qui va les éradiquer croient encore que sa trajectoire va changer au dernier moment.

Les « ayants tous les droits » veulent combattre la copie illicite, alors pourquoi ne pas abandonner la chronologie des médias en mettant au point un principe simple, sachant que certaines personnes ne vont jamais au cinéma, d’autres préfèreraient un accès numérique, d’autres le support physique, etc…

Pourquoi ne pas faire une sortie simultanée des différents médias ? Cela permettrait d’optimiser les revenus, et de combattre la copie illicite, non ? A moins que je ne me trompe lourdement…

Enfin, simple idée d’une personne qui n’a plus mis les pieds dans un cinéma depuis… la sortie d’Harvey Milk, pour plusieurs raisons, dont le coût d’une place, l’inconfort des salles à cause de l’incivilité des spectateurs, ou encore la démultiplication des reboot et autres remakes qui sont une solution de facilité…

On finit même par se demander quelle sera la prochaine suite ou le prochain reboot qui arrivera sur les écrans ! 🙁

On peut faire ici le parallèle avec l’industrie musicale. Elle se plaint que ses ventes soient en baisse. Mais il faut dire que depuis 2001 (et le début des programmes dit de « télé réalité »), les télés crochets se sont démultipliés, avec les artistes savonnettes comme à la grande époque des yéyés.

Pour mémoire, en espérant n’avoir rien oublié, voici la liste des émissions dites de télé-crochets produites depuis 2001 :

  • Nouvelle star : 10 saisons depuis 2003 (M6 puis NRJ 12)
  • Star Academy : 9 saisons entre 2001 et 2014 (TF1 puis Direct 8)
  • Popstar : 5 saisons 2001 à 2003, puis 2007 et 2013 (M6 et soit Direct 8, soit NRJ12)
  • Rising Star : 1 saison, 2014 sur M6
  • The Voice : 3 saisons, 2012 à 2014 sur TF1

Soit 28 saisons pour 5 télé-crochets différents sur 13 ans. Plus de deux par an, en estimant que chaque saison dure dans les 3 à 6 mois, cela ne laisse que peu de chances aux gagnant(e)s de pouvoir s’en sortir.

N’oublions par l’industrie litteraire. Elle est elle aussi touchée par la copie illicite, mais il suffit de voir le nombre de clones qui remplisse les rayons culturels. Combien de sagas de sorcellerie après le succès d’Harry Potter ? Combien de sagas de vampires après le succès de Twilight ? Ou dans une moindre mesure, les romans « porno soft » après le succès de « 50 shades of grey » ?

On peut comprendre que les trois industries soient frileuses pour proposer des produits réellement innovants surtout à une époque où les rentes de situations liés à la vente des supports physiques (et donc rares par définition) n’est plus adaptée.

C’est vrai, copier un fichier ne demande que quelques secondes, et donc entraine mécaniquement une forme d’abondance. Contrairement à l’obligation de copier un support physique avec les risques de pertes inhérentes à la duplication. Ou encore les frais de matières premières engagées.

Il est tellement plus simple de demander des lois pour combattre les nouveaux usages que de s’y adapter, en oubliant que les nouveaux usages sont désormais intégrés. A moins qu’on ne passe par le lavage de cerveaux les bancs de l’école, comme c’est en projet au Royaume Uni pour faire comprendre que les droits individuels sont inférieurs au copyright…

A quand l’équivalent avec les droits d’auteurs, différent du copyright sur certains plans, dans les écoles françaises ?

Je ne sais pas pourquoi, mais je vois arriver une ombre énorme d’un objet céleste qui l’est tout autant et qui file à la vitesse du son… Et qui va tomber sur le crâne de personnes qui se croient encore en 1993…

6 réflexions sur « L’industrie de l'(in)culture cinématographique, musicale et écrite est-elle « mentalement » bloquée en 1993 ? »

  1. *clap*clap*clap*
    Tout à fais d’accord, moi quand je regarde ma chère et tendre qui est une « sérieovore », nous avions hésité à prendre un abonnement Netflix.
    Puis nous avons vu la tronche du catalogue ou série/film les plus récent date de 3ans, donc par conséquent c’est tout simplement inutile…
    Les ayant droit on juste trop de sous et en veulent encore plus…

      1. Tout à fait d’accord avec ton analyse. Elle est connue depuis longtemps (je ne dis pas cela pour banaliser ce que tu dis…). Je crois qu’il faut dénoncer encore et encore cet état de fait, ce monopole ahurissant qui autorise une partie de l’industrie à retourner le problème et à s’abriter derrière les sacro-saints droits d’auteur, lorsqu’ils sont accusés. On nous parle d’économie mondialisée et de notre incapacité à l’intégrer dans nos logiciels de pensée, pour nous faire admettre toutes les dérives financières, mais lorsqu’il s’agit des productions audiovisuelles, on constate une bien curieuse inadéquation et c’est un doux euphémisme. Bien sûr, les sorties devraient être mondiales, ou presque, les offres payantes seraient alors plus attractives et le piratage réduit au minimum. Mais… Tu as raison, certains ont un temps de retard, qui les condamne à terme. Ils auront bien vécu sur la bête.

  2. Et oui, leur monde s’écroule !
    Je pense souvent aux fabricants de lampe à pétrole qui ont vu leur marché disparaître avec l’électricité…

    Tout bouge en ce moment, (à cause ou grâce à internet ?)

    Les services comme Netflix et BeinSports qui ne sont pas soumis au réseau télévisuel, donc au contrôle de l’état. Ils vont faire mal à C+ (surtout pour le sport). C+ a tué TPS en achetant à prix d’or le Foot. BeinSports va lui faire pareil… C+ aura bien du mal à expliquer que c’est déloyal !

    Ça pause tout de même plein de questions sur la survie de l’ancien modèle; sur l’influence de pays étrangers qui détiennent ces Net-médias… sur notre futur paysage audio-visuel.

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